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sâmbătă, 30 martie 2013

Sur les traces des missiles sol-air en Syrie

Y a-t-il un risque que la Syrie de 2013 devienne l'Afghanistan de 1986?
Tall Rifat, entre Alep et la frontière turque. Les explosions se font de plus en plus proches, de moins en moins espacées. «C'est comme ça à chaque fois qu'on met la pression sur Minakh», explique un combattant en faisant référence à la base aérienne où les troupes de Bachar al-Assad sont assiégées depuis des mois, à cinq kilomètres d'ici. Ce matin, les yeux se rivent sur un ciel dégagé que les Syriens ont appris à haïr. Bientôt, un jet arrivera de l'Est, et décrira des cercles au-dessus de la ville. Il faudra partir. Mais pour l'instant, nous sommes dans une petite échoppe à attendre Salih Abdo.

Si je suis entré en Syrie il y a quelques jours, c'est pour le trouver. L'homme a créé une brigade l'année dernière et dans la myriade d'unités militaires qui se font et se défont au gré de l'insurrection syrienne, celle-ci a quelque chose de spécial: son seul et unique but est de traquer les avions et les hélicoptères du régime, et de les abattre. Et pour ça, Salih Abdo a besoin d'une arme bien particulière.

Après les déclarations française et britannique en faveur d'un soutien en armes aux insurgés syriens, une question, essentielle, devrait retenir l'attention: celle du type d'armement qui pourrait éventuellement être fourni. Or, dans la liste des armes réclamées par l'opposition, il y a une pierre d'achoppement: le Manpads. Acronyme de «Man-Portable Air Defense System», le système de défense anti-aérienne portatif est capricieux: il doit être complet, chaque élément en état de marche, pour être totalement opérationnel.

Il est aussi limité: les versions plus anciennes, qui sont aussi les plus courantes, sont moins efficaces contre les avions de combat disposant de contre-mesures évoluées. Il n'en reste pas moins très dangereux pour les hélicoptères et les avions de ligne. L'arme est autant le rêve de l'insurgé syrien qu'il est le cauchemar de l'antiterrorisme.

Dès le printemps dernier, l'insurrection réclamait ce type d'armes qui pourrait lui permettre de fragiliser la supériorité des forces du régime de Bachar el-Assad dans les airs. Des systèmes anti-aériens portatifs ont fait leurs premières apparitions en territoire rebelle au milieu de l'été 2012, vraisemblablement de manière endogène –jusqu'à preuve du contraire. Ils ont continué à se multiplier dans les derniers mois de l'année avec les captures successives de plusieurs bases militaires autour d'Alep.

Le 27 novembre 2012, une première vidéo laisse entrevoir un hélicoptère de transport de l'armée syrienne se faire toucher par ce qui semble être un missile anti-aérien. Mais il faudra attendre le 25 février 2013 pour voir apparaître la première vidéo documentant l'utilisation effective d'un tel système anti-aérien portatif, une arme qui galvanise l'attention et que les insurgés du Nord syrien ont intégré dans une stratégie sophistiquée.

REUTERS/Mahmoud Hassano -

Province d'Alep, envoyé spécial

Tall Rifat, entre Alep et la frontière turque. Les explosions se font de plus en plus proches, de moins en moins espacées. «C'est comme ça à chaque fois qu'on met la pression sur Minakh», explique un combattant en faisant référence à la base aérienne où les troupes de Bachar al-Assad sont assiégées depuis des mois, à cinq kilomètres d'ici. Ce matin, les yeux se rivent sur un ciel dégagé que les Syriens ont appris à haïr. Bientôt, un jet arrivera de l'Est, et décrira des cercles au-dessus de la ville. Il faudra partir. Mais pour l'instant, nous sommes dans une petite échoppe à attendre Salih Abdo.

Si je suis entré en Syrie il y a quelques jours, c'est pour le trouver. L'homme a créé une brigade l'année dernière et dans la myriade d'unités militaires qui se font et se défont au gré de l'insurrection syrienne, celle-ci a quelque chose de spécial: son seul et unique but est de traquer les avions et les hélicoptères du régime, et de les abattre. Et pour ça, Salih Abdo a besoin d'une arme bien particulière.

Après les déclarations française et britannique en faveur d'un soutien en armes aux insurgés syriens, une question, essentielle, devrait retenir l'attention: celle du type d'armement qui pourrait éventuellement être fourni. Or, dans la liste des armes réclamées par l'opposition, il y a une pierre d'achoppement: le Manpads. Acronyme de «Man-Portable Air Defense System», le système de défense anti-aérienne portatif est capricieux: il doit être complet, chaque élément en état de marche, pour être totalement opérationnel.

Il est aussi limité: les versions plus anciennes, qui sont aussi les plus courantes, sont moins efficaces contre les avions de combat disposant de contre-mesures évoluées. Il n'en reste pas moins très dangereux pour les hélicoptères et les avions de ligne. L'arme est autant le rêve de l'insurgé syrien qu'il est le cauchemar de l'antiterrorisme.

Dès le printemps dernier, l'insurrection réclamait ce type d'armes qui pourrait lui permettre de fragiliser la supériorité des forces du régime de Bachar el-Assad dans les airs. Des systèmes anti-aériens portatifs ont fait leurs premières apparitions en territoire rebelle au milieu de l'été 2012, vraisemblablement de manière endogène –jusqu'à preuve du contraire. Ils ont continué à se multiplier dans les derniers mois de l'année avec les captures successives de plusieurs bases militaires autour d'Alep.

Le 27 novembre 2012, une première vidéo laisse entrevoir un hélicoptère de transport de l'armée syrienne se faire toucher par ce qui semble être un missile anti-aérien. Mais il faudra attendre le 25 février 2013 pour voir apparaître la première vidéo documentant l'utilisation effective d'un tel système anti-aérien portatif, une arme qui galvanise l'attention et que les insurgés du Nord syrien ont intégré dans une stratégie sophistiquée.

(Un insurgé syrien utilise un FN-6, Manpads de fabrication chinoise récente, pour descendre un hélicoptère de transport du régime syrien près de la base aérienne de Minakh, dans le Nord)

«Plus rien n'en décolle, plus rien ne s'y pose», déclare un combattant de la Brigade Suqur al-Shahbaa –Les Faucons d'Alep, qui participe au siège de la base aérienne de Minakh. Cette dernière fait partie de la constellation de points névralgiques où les forces loyalistes se sont retranchées. La maîtrise des engins explosifs improvisés a poussé l'armée de Bachar el-Assad à concéder d'importantes franges de territoire aux insurgés qui, en retour, ont les coudées franches pour s'organiser de manière plus efficace.

Avec un arsenal dérisoire, ils assiègent dès la fin 2012 les bases de Jirrah, Taftanaz, Abu ad Duhur, Kuwayris, et Minakh, d'où les forces loyalistes pilonnaient la région environnante et lançaient des raids aériens. Les deux premières tombent à la mi-février, les trois autres sont rendues non-opérationnelles. Une bouffée d'air frais pour les habitants de la province d'Alep, même si les raids aériens –moins fréquents– continuent, lancés depuis des bases plus lointaines.

A Kuwayris et Minakh, les combattants insurgés décrivent la même stratégie, celle de l'asphyxie. Situées en terrain plat, avec peu de couverture naturelle, les bases sont difficiles à approcher.

«Nous prenons notre temps, explique un combattant de Suqur al-Shahbaa. Les commandants préfèrent attendre. Pourquoi gâcher des vies et des munitions? Il y a 450 loyalistes dans la base. Cela fait deux mois qu'ils ne sont pas ravitaillés. Ils meurent à petit feu.»

Après avoir coupé les lignes de ravitaillement au sol, les insurgés présentent désormais une menace de plus en plus grandissante pour les hélicoptères qui tentent de desserrer l'étau en larguant vivres et munitions aux forces assiégées.

«Je suis prêt à accepter les conditions des pays qui souhaitent nous aider. Je suis prêt à signer n'importe quoi», assure Salih Abdo, commandant de l’unité anti-aérienne qui dit avoir abattu l'hélicoptère du 25 février à Minakh.

«Nous rendrons des comptes à ceux qui souhaitent nous fournir ce type d'armes.»

Officier ayant déserté les rangs du régime il y a un an, Salih Abdo a décidé de lancer fin 2012 une initiative dont le but avoué est de rasséréner les gouvernements qui craignent de voir le potentiel destructeur des missiles sol-air tomber entre les mains de groupes qui ne servent pas leurs intérêts.

Abdo n'a pas souhaité révéler le nombre de Manpads actuellement en sa possession, mais «ils se comptent sur les doigts de la main». Il insiste sur le fait que «seuls des officiers déserteurs sont autorisés à manipuler ces armes», qu'il reçoit directement du Conseil militaire d'Alep et distribue lui-même au sein de son unité. «Les armes, une fois utilisées, sont renvoyées au Conseil militaire», affirme Abdo, qui ajoute que celles actuellement en sa possession ont été capturées le mois dernier lors de la prise de du complexe anti-aérien du 80e régiment de l'armée de Bachar el-Assad, juste à côté de l'aéroport international d'Alep.

«Salih Abdo a eu cette idée de réunir tous les moyens anti-aériens des unités opérant dans la région sous un commandement unique, afin d'en augmenter l'efficacité sur le terrain. C'est une bonne idée, mais tout le monde n'est pas prêt à renoncer à ces armes», résume Mohammed Bader Furzaat, un combattant de Suqur al-Shahbaa. Il sait de quoi il parle: il dispose lui-même d'un SA-7a produit en 1970 et mais auquel il manque la batterie –donc inutilisable.

Si une structure de commande cohérente semble donc se dessiner pour réglementer l'usage de ce type d'armes, la nature de l'insurrection pourrait être perçue comme contre-productive. Certaines unités ne souhaitent pas être totalement soumises à une hiérarchie unifiée, elles préfèrent demeurer indépendantes tout en collaborant régulièrement avec la chaîne de commande officielle.

Cet éclatement, qui ne facilite pas la reconnaissance d'une cohérence dans l'opposition et rend son approvisionnement en armes plus compliqué, constitue également un point fort pour l'hydre de l'insurrection: elle est aussi la conséquence naturelle d'un soulèvement populaire progressivement armé et d'abord organisé sur des lignes familiales et quasi-claniques.

«La France a toutes les garanties que les fournitures de matériels seraient dans des mains qui ne seraient pas celles des fondamentalistes», déclarait François Hollande le 15 mars au Conseil européen. Ces garanties auraient été données à Paris par la Coalition nationale des forces de l'opposition et de la révolution.

Cependant, un autre transfert important d'armes vers les forces d'opposition montre la difficulté de contrôler le flux des armes envoyées en zone de conflit. Dès décembre 2012, l'Arabie saoudite achète un stock important d'armes de fabrication yougoslave à la Croatie et l'achemine vers le sud de la Syrie via la Jordanie. Ces armes, destinées principalement à des groupes perçus comme séculaires, avaient aussi pour but d'affaiblir les groupes djihadistes dont la montée en puissance inquiète les gouvernements occidentaux.

Plusieurs vidéos (ici aussi) et photos semblent pourtant montrer ces armes –canons sans recul M60, lance-roquettes M79 et RGP-22, lance-grenades RBG-6– aux mains de ceux qui n'étaient justement pas sensés les recevoir. Une conséquence, encore une fois, de la nature de l'insurrection syrienne: de nombreux groupes, séculaires ou non, coopèrent, de façon ponctuelle ou non. La matériel militaire change donc naturellement de mains.

On serait tenté de penser que les autorités françaises et britanniques gardent en tête l'exemple afghan dans lequel un type de Manpads particulier, le Stinger américain, a fait figure de «silver bullet», d'arme miracle, pour les Moudjahidines dans leur combat contre les forces soviétiques, avant de se retrouver entre les «mauvaises» mains.

En 1985, l'Afghanistan entrait dans sa sixième année d'occupation soviétique. Un million d'Afghans en étaient morts, un million et demi étaient blessés, et il y avait six millions de déplacés. Reagan informait le Congrès de sa décision d'y envoyer des Stingers en mars 1986. L'opération, dont un compte-rendu officiel n'a jamais été fait public, fut un succès: les pilotes soviétiques durent voler plus haut et tirer de plus loin, ce qui les rendait moins efficaces. Plus d'armes purent alors passer aux mains des insurgés.

L'effet psychologique eu son importance. Il est aussi présent en Syrie. Au lieu d'être une proie impuissante, l'insurgé se transforme en chasseur d'hélicoptère. La jubilation remplace la peur à la vue d'un aéronef. A la fin de l'occupation, en 1989, certaines estimations font état de 269 aéronefs soviétiques descendus par les Stingers donnés aux Moudjahidines. Le succès militaire et géostratégique est indéniable.

Impossible de contrôler ces armes

En dépit de plusieurs moyens de contrôle, dont la pose de mouchards sur certaines caisses et la présence d'agents sur le terrain, la CIA –à l'origine de l'opération– n'a pas pu empêcher certaines des 2.000 armes de sortir du réseau. L'agence a pourtant fait ce qu'il fallait, en apparence: les armes étaient méticuleusement enregistrées avant d'être exportées, et les insurgés devaient rendre le tube de chaque arme après utilisation. Malgré cela, plusieurs centaines de Stingers disparaissent. En outre, certains finissent capturés par les Russes et, plus préoccupant pour les Américains, par les Iraniens.

Matthew Schroeder, chercheur à la Federation of American Scientists, note dans son livre The Small Arms Trade que, dans les années suivantes, des dizaines de Stingers ont fini dans les arsenaux d'insurgés, de terroristes et de gouvernements hostiles aux Etats-Unis.

«L'Iran, le Qatar et probablement la Corée du Nord et la Chine ont acquis des Stingers afghans, comme l'ont fait les séparatistes tchétchènes, les fondamentalistes algériens, les rebelles kurdes en Turquie, et les Tigres du Sri Lanka, écrit-il. Les Talibans en ont reçu des dizaines de la part de commandants moudjahidines alliés, et les gardes-du-corps d'Oussama ben Laden y auraient également eu accès.»

Récupérer toutes ces armes s'avéra extrêmement difficile, voire impossible, pour les Américains.

«Les implications potentielles pour la lutte contre le terrorisme et la protection de l'aviation civile sont trop importantes pour se risquer à distribuer des systèmes modernes, avertit Matthew Schroeder, en faisant référence à la Syrie. Les risques potentiels sont énormes, et cela marquerait un précédent qui endommagerait les efforts qui ont été faits jusqu'à aujourd'hui pour juguler la prolifération de ce type d'armes.»

Le chercheur ajoute:

«Je ne vois pas comment il serait possible de contrôler ces armes. Même avec la meilleure des intentions, il sera très difficile de s'assurer d'une distribution et d'une utilisation appropriées.»

«On en n'est pas encore à définir le type d'armes à fournir, explique de son côté Philippe Lalliot, porte-parole du Quai d'Orsay. Une décision unanime de levée de l'embargo sur les armes à la Syrie serait la meilleure solution, celle que nous souhaitons privilégier, et la question du type d'armes peut faire pencher la balance.» Pour les Affaires Etrangères françaises, «il y a un objectif concret et une demande légitime de la Coalition».

Cette demande «n'est pas récente et a été entendue, elle comprend des armes anti-aériennes et anti-chars». Mais, selon Lalliot, il faut que «la décision ait un effet politique. D'abord que cela montre qu'il y a une décision commune des partenaires européens, et ensuite qu'il y a un message politique porté à la Syrie, un message qui a un sens et un poids», note le porte-parole.

Les Européens se trouveront donc devant un choix important qu'auront aussi à faire les Français et les Britanniques s'ils prennent l'initiative d'agir seuls. S'ils décident de ne pas fournir de Manpads aux rebelles, l'opération paraîtra, au mieux, cosmétique, et le poids du message envoyé s'en trouvera réduit. Si, au contraire, des Manpads sont fournis, les gouvernements responsables devront en porter toutes les conséquences. Elles pourraient être lourdes à porter.

Damien Spleeters

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